Ce matin, dans cette chronique, j’ai décidé de revenir sur une femme dont je vous avais déjà parlé la semaine dernière… Oui y’a un lien avec les Césars, et oui on n’a pas fini d’en parler, pas tant que l’on continuera d’encenser Roman et de lyncher Adèle, et avec elle toutes le femmes qui se sont levées, ont protesté, ont emmerdé les dominants, et se sont cassées. Normalement, vous voyez maintenant où je veux en venir.
Je vais vous raconter l’histoire d’une révolutionnaire. L’histoire d’une femme qui, toute sa vie, a lutté contre le système, la société patriarcale, et la domination des puissants. Cette histoire, c’est celle de Virginie. Virginie naît en 1969 à Nancy, en Meurthe-et-Moselle, un peu la patrie. Ses parents sont alors très jeunes, et très vite lui transmettent la fibre de la rébellion : tous les deux postiers syndicalisés CGT, Virginie, dès son plus jeune âge, prend l’habitude d’aller marcher et manifester avec ses parents. Elle découvre la littérature à travers la bibliothèque rose et les Fantomettes que sa mère aime lui acheter, mais ce qu’elle préfère lire en cachette, ce sont les BD subversives de Reiser et Wolinski. L’école primaire n’est pas de tout repos : elle est régulièrement impliquée dans des bagarres, surtout avec des garçons qu’elle aime remettre à leur place.
Adolescence qui n’est pas non plus de tout repos : souvent à l’écart des autres élèves, ses camarades la surnomme “Bulle”. Mais le jour où son père échoue à l’élection municipale de Jarville, elle n’a de cesse de se faire élire et réélire chaque année aux élections des délégué.e.s. Malgré ses multiples victoires, elle échoue tout de même à mobiliser les élèves contre leurs professeur.e.s et à les entraîner dans des grèves. C’est son professeur de français qui lui fait découvrir l’écriture : elle dit de lui “qu’il lui a ouvert la voie, et changé sa vie”.
Les années qui suivent vont être dures et marquantes pour la jeune Virginie : elle a tout vécu. Internée à 15 ans en hôpital psychiatrique contre son gré, la psychothérapie, bien que bienveillante, ne l’aide pas. S’ensuit alors la déscolarisation, les nombreuses arrestations policières, l’errance. Elle passe son bac en candidat libre tout en travaillant comme employée de ménage, puis s’inscrit dans une école de cinéma lyonnaise, qui deviendra deux ans plus tard l’ARFIS. Hébergée dans un foyer, elle sombre dans l’alcoolisme, et enchaîne les petits boulots : baby-sitter, vendeuse chez un disquaire, en grande surface, pigistes aux Inrocks… elle fréquente beaucoup les milieux punks et autonomes. Le manque d’argent l’amène à la prostitution occasionnelle, via le Minitel rose et les peep shows.
L’année 1992 marque un tournant dans sa vie : victime d’eczéma aggravé, elle se réfugie un été dans la maison de vacances de ses parents, et y écrit son premier roman en un mois seulement. Intitulé sobrement Baise-moi, son manuscrit circule dans les milieux post-punk, mais est refusé par 9 maisons d’édition, en raison de son style trash. Elle part à Paris l’année suivante, pour travailler en tant que critique de films pornographiques pour un magazine spécialisé : elle vit alors en colocation avec une autre aspirante écrivaine, Ann Scott, ce qui permet aux deux jeunes femmes de se soutenir dans leurs ambitions littéraires.
Année 1994 : Virginie a perdu son manuscrit de Baise-moi et renoncé à sa carrière d’écrivaine. Mais l’un de ses amis ne l’entend pas de cette oreille, et en présente une copie à l’éditeur Florent Massot, intéressé par les œuvres de la contre-culture. Il décide de le publier une première fois, à 2000 exemplaires, pour une diffusion qui ne dépasse pas les réseaux underground. Mais Virginie ne se décourage pas : résolue à changer de vie, elle prend un nom de plume à l’âge de 25 ans, pour effacer son passé compromettant : celui-ci fait référence aux quartiers des pentes de la croix rousse de Lyon. Si vous ne l’aviez pas encore compris, je vous parle aujourd’hui de Virginie Despentes.
Après qu’elle ait présenté son roman à une de ses idoles du rock, le livre arrive jusque sur le bureau de Thierry Ardisson, puis chez Laurent Chalumeau de chez Nulle part ailleurs. Les ventes explosent : c’est la consécration. S’ensuit alors d’autres romans : Les Chiennes savantes en 1996, qui dresse un portrait noir de la condition féminine sous forme de roman policier, puis Les Jolies choses en 1998, “remake grunge des Illusions perdues”, qui reçoit le Prix de Flore. Puis advient l’année de ses 30 ans, l’année où elle décide d’arrêter de boire.
Elle se lance dans une adaptation cinématographique de son premier roman Baise-moi : le film est un échec, jugé trop obscène, même s’il dénonce la violence subie par les femmes, et censuré. Qu’à cela ne tienne, Virginie Despentes est désormais une écrivaine reconnue, et ne compte pas s’arrêter là. Elle publie en tout 10 romans, 5 nouvelles, 2 essais, et reçoit 10 prix, dont le fameux prix Renaudot pour son livre Apocalypse Bébé. Elle fait son coming out à 35 ans, et déclare à ce propos : “Ma vision de l'amour n'a pas changé, mais ma vision du monde, oui. C'est super agréable d'être lesbienne. Je me sens moins concernée par la féminité, par l'approbation des hommes, par tous ces trucs qu'on s'impose pour eux”.
Après un silence de trois ans, passés dans un anonymat total à Barcelone avec sa compagne, elle revient en France et devient une personnalité dérangeante de la scène littéraire en produisant des œuvres toujours plus subversive. En 2015, Vernon Subutex, série en 3 volumes, et un succès retentissant. Elle reçoit le prix BnF pour l’ensemble de son oeuvre en 2019, et début janvier, démissionne de l’académie Goncourt dont elle était membre depuis 4 ans, pour se consacrer à son travail.
Voilà, on est arrivé en 2020, et vous pensez que je vous ai certainement tout dit. Eh bien il y a une chose pourtant, un chose que je ne vous ai pas dites, une chose très souvent invisibilisée par les médias et les milieux intellectuels. A l’âge de 17 ans, Virginie est victime d’un viol : le traumatisme l’installe dans le déni ; ce n’est que 20 ans plus tard que Despentes reconnaîtra que cet événement était “fondateur, de ce que je suis en tant qu'écrivain, en tant que femme qui n'en est plus tout à fait une. C'est à la fois ce qui me défigure et me constitue..”
Il y a une semaine, Virginie Despentes publiait une tribune en réaction aux Césars qui glorifiait et récompensait un violeur : “Désormais, on se lève et on se barre”. De dans elle écrit par exemple : “Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable.” Des mots crues, qui en ont fait réagir plus d’un. C’est ainsi que certains ont ressorti des vieux dossiers, ont déformé des propos vieux de 5 ans afin de la décrédibiliser, l’ont accusé de sympathie terroriste : une méthode souvent utilisée contre les féministes, qu’on appelle le Backlash, et qui sert à les faire taire. Mais Virginie ne s’est jamais tue, et ne se taira plus jamais : la Révolution est en marche ; aujourd’hui, “On se lève et on se casse. C’est terminé.”
En tout cas, l’incroyable histoire de Virginie nous prouve encore une fois que les écrivaines sont loin d’avoir écrit leur dernier mot.
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