Je commencerai cette chronique par une actualité qui ressemble à s’y méprendre à ce dont on a pu parler à The Cinema Show, et au destin d’une certaine académie cinématographique dont la direction, écrasée par ses propres erreurs de jugement et son incapacité à reconnaître ce qui est juste, s’est vu contrainte (ou pas?) de démissionner suite à un tribune de 400 signataires qui appelait à une petite révolution. Eh bien figurez-vous que le monde de la littérature à son propre Roman Polanski, et il s’appelle Gabriel Matzneff.
Peut-être que son nom ne vous dit rien, pourtant il a fait couler beaucoup d’encre, et pour cause : il est au cœur d’une affaire de violences sexuelles et pédophilie, pédophilie dont l’écrivain ne s’est jamais caché puisque c’était le sujet de nombre de ses livres… Est-il pourtant derrière les barreaux ? Si vous regardez comment le monde du cinéma gère ses propres pédophiles, vous vous doutez bien que le monde littéraire ne fait pas mieux : pour seule réponse, ce fut un silence assourdissant, qui durera plus de 50 ans. En 2013, Matzneff reçoit même le prix Renaudot de l’essai : c’est là que tout bascule. Nous en venons donc à la news d’aujourd’hui. Début janvier, l’autrice et nouvelle directrice des éditions Julliard, Vanessa Springora, publiait un ouvrage autobiographique dans lequel elle raconte sa relation sous l’emprise de Gabriel Matzneff : il avait 50 ans, elle 14. Le Consentement, puisque c’est le titre de son livre, jette alors un froid dans le milieu de l’édition, et réveille des consciences contraintes de se taire jusqu’alors. Qu’elles soient éditrices, autrices, illustratrices, toutes décrivent un milieu littéraire gangrené par un harcèlement latent et beaucoup subissent des agressions sexuelles de professionnels connus du milieu. Et 44 de ces personnalités, début février, ont réclamé la fin de “la loi du silence” et ont signé une tribune, proclamant : “Nous ne seront plus celles qui encaissent”.
Dans cette tribune, les signataires y dénoncent une réalité cachée afin de protéger certaines personnalités, je cite “Combien de Weinstein dans le monde littéraire ? Combien de tartuffes aux mains moites, de dons Juans à la braguette souple ?”.
Des signataires comme Leonora Miano, Caroline Laurent, David Foenkinos ou encore Florence Hinckel, et un message clair à l’élite intellectuelle : “Non, ce n'est pas à nous d'être honteuses, mais à ces hommes incapables de résister à leurs pulsions, grossiers, méprisables, ces petits maîtres que le doute n'effleure pas, sûrs de leur bon droit, ce droit de cuissage revisité à l'aune du délire économique de notre époque.”
On espère que leur message sera entendu, et que ceux qui méritent d’être enfermés le seront. L’espoir, on en a à revendre.
Passons maintenant à la personnalité du jour : la semaine dernière je vous parlais des romans d’amour à l’occasion de la Saint-Valentin, et on peut se le dire, j’étais un peu en retard. Eh bien je vais être encore plus en retard avec l’écrivaine que je vais vous présenter aujourd’hui. Vous avez pu entendre parler d’elle à l’occasion d’un film sorti le 21 janvier, adapté de son propre ouvrage : je parle bien sûr d’Anna Gavalda, autrice du primé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part.
Anna naît en 1970 à Boulogne-Billancourt, d’un père dans l’informatique et d’une mère créatrice de foulard. Sa première vie n’est pas très éloignée de sa carrière d’écrivaine, puisqu’elle est tout d’abord professeur de français en Seine-et-Marne. En 1992, elle remporte le concours de "La plus belle lettre d’amour", organisé par France Inter, ce qui prouve bien qu’il y a toujours de l’amour dans cette chronique. Puis en 2000 paraît son premier recueil de nouvelles, lauréat du prix RTL-Lire : Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, donc. C’est un succès retentissant : le livre est traduit en 27 langues et vendu à plus d’un million 900 mille exemplaires. L’histoire se répète pour les trois ouvrages qui suivent : L’Echappée Belle, en 2001, Je l’aimais, en 2002, et Ensemble c’est tout, en 2004, certainement son plus grand succès. En tout et pour tout, l’autrice compte dans sa carrière 5 romans, 3 recueils de nouvelles, 5 romans jeunesse et 2 albums photos. L'écrivaine s’est également essayé à la traduction, a préfacé 15 ouvrages différents, et a été adaptée trois fois au cinéma, 1 fois à la télévision et 1 fois au théâtre.
Une carrière bien remplie pour cette écrivaine de 49 ans, qui n’en a pas fini de parler de ce qu’elle aime : les gens. Oui, Anna aime écrire sur les gens. Elle dépeint alors des personnages marquants bien que banals, et parle de leur quotidien, d’événements simples qui pourraient nous arriver à tous, créant ainsi un lien indéfectible avec le lecteur. Ses écrits en appellent à notre expérience, nous place dans l’action sans détour et parfois sans contexte, et au détour d’un dialogue, nous parle de la vie, de l’art, du monde qui nous entoure. Elle cultive aussi l’amour du twist, et beaucoup de ses nouvelles laissent sans voix. Si son oeuvre reçoit très souvent un accueil critique contrasté, aucun doute que le public est toujours au rendez-vous, tant son style et son discours ont permis de créer une relation complice. Eric Naulleau et Pierre Jourde, dans leur manuel de littérature, parle d’elle ainsi : “le génie de Gavalda consiste à mettre en scène le Français moyen dans tous ses avatars.” Si pour eux, c’est évidemment une critique, pour les lecteurs et les lectrices, c’est un rendez-vous attendu et toujours inattendu. Je finirais en vous parlant d’une info qui m’a fait rire : en 2010, elle reçoit le prix Tortignole pour son roman L’Echappée belle, un prix qui je cite “récompense un livre qui a fait l’objet d’une envahissante médiatisation qui n’a pas paru totalement justifiée au jury.” Comme quoi on fait des prix pour tout, et comme quoi, Anna Gavalda trouve toujours son public là où on ne l’attend pas.
En tout cas, l’histoire d’Anna nous prouve encore une fois que les écrivaines n’ont pas écrit leur dernier mot.
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