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Des Césars et des femmes

 

    Vendredi 28 février se tenait la 45ème cérémonie des Césars, une cérémonie électrique haute en couleur qui va continuer à faire couler beaucoup d’encre pour encore longtemps.

Et comme je vous parlais lors de la Cérémonie des Oscars des écrivaines nommées dans les meilleures adaptations, j’ai décidé de faire pareil pour notre cérémonie à la française. Oups, mais il n’y a pas d’écrivaine nommée dans les meilleures adaptations cette année !

Qu’est-ce que je peux être bête parfois.

Pourtant c’était pas faute d’avoir de la matière. Chanson douce, de Lucie Borleteau, par exemple, est adapté du roman du même titre de Leïla Slimani ! Et Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, est quant à lui adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra ! 

Ah non pardon, encore oups : Yasmina Khadra est le nom de plume de l’écrivain Mohammed Moulessehoul, qui pour rendre hommage à sa femme qui l’a aidé dans sa carrière d’écrivain, prendra comme pseudonyme ses deux prénoms. Mais c’est aussi une manière pour lui de militer en faveur de l’émancipation des femmes musulmanes : ça méritait d’être souligné.

Bon revenons à Leïla Slimani du coup, la grande oubliée des adaptations de cette année, puisque Chanson douce n’est apparu que dans la catégorie “Meilleure actrice”, Karin Viard en tête de proue. 

Commençons par les présentations.

 

Leïla Slimani est une une journaliste et écrivaine franco-marocaine. Elle naît à Rabat en 1981 : son père est banquier, et sa mère, médecin ORL, est la première femme médecin à intégrer une spécialité médicale au Maroc. L’année 1999 voit son arrivée en France, à Paris, où elle s’inscrit en classes préparatoires littéraires. Puis, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, et participant au Cours Florent, elle s’essaie au métier de comédienne. Pour se former aux médias, elle complète ses études avec une formation à l’école de commerce ESCP Europe. Elle y rencontre le journaliste et éditorialiste Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose une formation au journal L’Express. Mais c’est pour le magazine Jeune Afrique qu’elle est finalement engagée en 2008 : elle y traite dans ses articles de sujets touchants à l’Afrique du Nord. Elle démissionne de la rédaction en 2012 mais y reste pigiste, objectif : se consacrer à l’écriture et à sa carrière d’écrivaine.

Mais en 2013, son premier manuscrit est refusé par toutes les maisons d’édition : ne se laissant pas abattre, elle entame un stage de deux mois dans un atelier mené par l’écrivain et éditeur primé Jean-Marie Laclavetine, dont elle déclarera plus tard que sans lui, son premier livre n’aurait jamais existé. Et donc en 2014 sort ce premier livre : Dans le jardin de l’ogre. Le sujet porte sur l’addiction sexuelle féminine, et allié à son style d’écriture particulier, la critique le remarque : l’ouvrage est ainsi sélectionné au Prix de Flore en 2014. 

Mais c’est son second roman, Chanson douce, qui va faire sensation : en 2016, elle reçoit grâce à lui le prestigieux prix Goncourt. 

    Leïla est aussi une femme très engagée : en 2013, face aux attentats qui endeuillent la France, elle écrit une tribune dans le 1 Hebdo, intitulée “Intégristes, je vous hais”. Elle revient alors sur un épisode qui a marqué son enfance, et déplore le silence  face à l’obscurantisme, tout en déclarant son amour à la France et à la vie. Et pour avoir critiqué la pénalisation de l’homosexualité au Maroc, elle reçoit en 2017 l’Out d’or du “coup de gueule” remis par l’Association des journalistes LGBT. Elle est également la représentante personnelle du président Emmanuelle Macron pour la francophonie, et siège au Conseil permanent de l’Organisation internationale de la francophonie. 

 

    Mais en 2017 éclate une polémique à propos de son essai Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc : s’il est encensé par certains écrivains et remarqué par la critique, il déclenche également le courroux des Indigènes de la République, association anti-racisme et anti-colonialisme, qui qualifie la romancière de “native informant” : un notion forgée par les études post-coloniales pour, je cite, “désigner les personnes de couleur qui, surcompensant un complexe d'infériorité à l'égard des Blancs, imitent ces derniers pour leur plaire et être reconnues par eux”. Leïla Slimani ne répond pas à cette critique, et est régulièrement attaquée sur les réseaux par des personnes racistes ou islamistes. Qu’à cela ne tienne, Leïla ne compte pas se taire pour autant : depuis Chanson douce, elle a publié 6 autres ouvrages, dont le dernier, Le pays des autres, sort cette année. Depuis 2016, elle contribue également au site d’information Le360.ma en y tenant un blog. Une carrière bien remplie et multipassion pour cette autrice de 38 ans, qui je pense, n’a pas fini de faire parler d’elle.

 

    Je finirai cette chronique en vous citant Virginie Despentes : l’écrivaine, ancienne membre de l’académie Goncourt, a écrit une tribune afin de dénoncer les César de la honte, que je vous conseille d’aller lire. Elle écrit : “Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse”.

 

En tout cas, l’histoire de Leïla et la colère de Virginie nous prouve bien que, et même si les plus grandes instances les oublient à tort, les écrivaines n’ont pas écrit leur dernier mot.

 

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