La chronique d'aujourd'hui va nous faire entrer dans le monde des concours et des remises de prix : aujourd’hui, point de prix Nobel, dont je vous avais parlé il y a quelques semaines, mais des récompenses bien françaises, et bien masculines également.
Tout commence à l’annonce du Prix Goncourt de cette année 2019, remis début novembre : le grand gagnant n’est autre que Jean-Paul Dubois, pour son roman Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Vous savez qui c’est ? Moi non plus. Et en face, parmi les quatre concurrent.e.s sélectionné.e.s, on retrouvait deux autres écrivains, Jean-Luc Coatalem et Olivier Rolin, et une écrivaine, qui n’était autre qu’Amélie Nothomb. Rien que ça. On ne présente plus cette autrice de talent : 53 ans, 27 romans, dont les célèbres Stupeur et Tremblements et Métaphysique des tubes, 12 recueils de nouvelles et contes, 1 pièce de théâtre, de multiples prix… mais toujours pas de Goncourt.
Et c’est pas faute d’être nommée depuis 3 ans sans jamais rien recevoir. Mais que peut on attendre d’un prix dont l’Académie ne compte que 3 femmes sur 10 membres, et qui a récompensé, en plus d’un siècle d’existence, seulement 9 écrivaines sur 116 lauréat.e.s ?
Alors j’ai fait des petites recherches : peut-être que l’on fait mieux du côté du Grand prix du roman de l’Académie Française ? Eh bien cette année, il est revenu à Laurent Binet, pour son roman Civilizations. Bon on parle d’un prix remis par 35 hommes et 5 femmes (je parle de l’Académie française là) à seulement 11 autrices pour 104 récompenses au total.
Heureusement que je n’ai pas fait de statistiques.
Partons du côté du Prix Renaudot, qui en quasiment un siècle d’existence, est devenu presque aussi célèbre que le Goncourt, en étant en quelque sorte son complément naturel : 16 écrivaines récompensées pour 93 lauréats : c’est mieux ! Bon il n’y a qu’une seule femme dans un jury de 10 membres, dont Franz-Olivier Giesbert, accusé de manipulation en 2007 lorsque le prix a été remis à Daniel Pennac, très bon auteur soit dit en passant, mais qui ne faisait pas partie des écrivains sélectionnés. Oups.
Je fais un petit tour d’horizon vite fait du reste des gros prix littéraires de cette année :
- le prix Médicis, qui récompense les auteurs.rices qui débutent, décerné cette année à Luc Lang pour La Tentation, par 11 personnes, dont 5 femmes ! On pourrait presque parler de parité, si le chiffre n’était pas impair.
- le prix littéraire du festival "Terre d’ailleurs", qui récompense les romans de voyage ! Ah je suis sûre que beaucoup de femmes voyagent ! Ah bah a priori non : le prix a été attribué à Marc Alaux, parmi une sélection très hétéroclite de… 5 hommes. Merci "Terres d’ailleurs" !
- le prix Femina, parlons-en ! C’est un prix qui voit le jour en 1904, lorsque 22 collaboratrices du magazine La vie heureuse décide de créer une sorte de prix anti-goncourt, le jugeant trop misogyne dans son attribution. Le jury est exclusivement féminin, et c’est assez rare pour être souligné ! Bon, cette année, c’est un mauvais exemple, puisque le prix revient à Sylvain Prudhomme. Je me suis quand même amusée à compter pour vous le nombre d’écrivaines récompensées par ce prix : 39 femmes, pas mal ! Bon sur 108 lauréats d’un prix censé combattre la misogynie, mais on avance tout de même !
Après tout ça, je me suis dit que les prix plus récents, nés de l’esprit de jeunes gens prêts à changer le monde serait plus paritaires : je me suis donc tournée vers la terre patrie, la belle Montpellier, et me suis intéressée au Prix Joseph, créé en 2018 par Thibault Loucheux et Jean-René Privat pour récompenser un auteur ou une autrice, ou une maison d’édition de la région Occitanie. Une très bonne initiative, qui l’année dernière avait couronné l’autrice Wendy Delorme pour Le corps est une chimère . Bon à croire qu’ils étaient un peu fatigué.e.s cette année : 2 écrivaines sur 10 sélectionné.e.s ! Et le prix a été remis à Julien Moraux, pour Mais rien ne vient.
Mais je vais vous dire : j’ai espoir. Vous savez en qui ? La jeune génération, enfin celleux qui sont plus jeunes que nous. Cette année, le prix Goncourt des lycéens a été remis à Karin Tuil, romancière sociale à succès, chevalière de l’ordre des arts et des lettres, pour son livre Les choses humaines. Elle a aussi reçu cette année le prix Interallié, remis par un panel de journalistes et d’écrivain.e.s. Le Renaudot des lycéens, lui, a été attribué à Victoria Mas pour Le bal des folles : c’est son premier roman. Le succès est tel qu’elle reçoit également le prix Stanislas du premier roman, ainsi que le prix Première Plume.
Voilà pourquoi je ne perds pas espoir.
En tout cas, l’annonce du Goncourt et la mise à l’écart d’Amélie Nothomb aura eu un effet retentissant : l’UNEQ, Union des Écrivaines et des Écrivains Québecois, a décidé de mener une étude sur la place des femmes dans le monde littéraire. Il en ressort qu’autant de femmes que d’hommes proposent des manuscrits ; c’est juste que l'on accorde aux femmes moins d’attention, d’exposition médiatique, et d’argent. Les raisons ? Aucune idée. Mais face à ces résultats, l’UNEQ a décidé de créer un Comité à l'Égalité hommes-femmes dans le milieu du livre, afin de réfléchir à ces inégalités, sensibiliser, et trouver des solutions, pour que l’équité soit enfin respectée à tous les niveaux.
Voilà pourquoi je garde espoir.
Et quand bien même on ne leur décerne pas de prix, les écrivaines ont bien prouvé au fil de l’histoire, qu’elles n’ont pas écrit leur dernier mot.
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