La chronique d’aujourd’hui m’a été inspirée par un film que j’ai vu il n'y a pas très longtemps, sorti le 25 octobre dernier en France : Private War, de Matthew Heineman. Et si je commence cette chronique en vous parlant d’un film, c’est parce qu’il raconte l’histoire d’une écrivaine très connue de ce siècle : Marie Colvin. Ceux qui la connaissent déjà me diront sûrement que ce n’était pas vraiment une écrivaine ; effectivement, elle était journaliste, reporter de guerre. Et elle a bien assez écrit dans sa vie pour concourir au titre.
Marie Colvin naît dans le Queens en 1956, et grandit aux côtés d’un père vétéran de la Seconde Guerre Mondiale et professeur d’anglais, d’une mère conseillère d’orientation, de deux frères et de deux sœurs. Elle passe sa première année de lycée à l’étranger, grâce à un programme d’échange qui l’envoie au Brésil, et met au jour son goût du voyage. Après son bac, elle s’inscrit à l’université de Yale, et se spécialise en anthropologie. Elle commence à écrire dans le même temps pour le Yale Daily News, ce qui lui donne l’idée d’être journaliste. Elle obtient son diplôme en 1978, après des années riches en émotions : elle était connue à Yale pour sa forte personnalité, et se qualifiait déjà à l’époque comme une “faiseuse de bruit”.
Elle travaille brièvement pour un syndicat new-yorkais, puis lance très vite sa carrière de journaliste : elle commence à travailler pour la United Press International en 1979, et fera plusieurs agences, avant d’être nommée directrice du bureau de Paris, puis de les quitter pour le Sunday Times en 1985, journal britannique pour lequel elle travaillera toute sa vie.
Elle devient en 1986 correspondante du journal au Moyen Orient : cette année là, elle est la première à interviewer le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, après l’opération El Dorado Canyon menée par les USA.
Spécialiste du Moyen-Orient, Colvin a couvert de nombreux conflits : Tchétchénie, Kosovo, Sierra Leone, Zimbabwe, Sri Lanka, et le Timor Oriental, où elle aide à sauver en 1999 1500 femmes et enfants piégés d’un complexe assiégé par les forces soutenus par l’Indonésie. Refusant de les abandonner, elle reste aux côtés des Nations Unies et rend compte de la violence qui l’entoure dans ses articles et en direct à la télévision. Ils sont évacués 4 jours plus tard. Elle reçoit un an plus tard le prix du “Courage en journalisme” de l’International Women’s Media Foundation pour son travail au Kosovo et en Tchétchénie.
Le 16 avril 2001, alors que Marie couvre le conflit qui fait rage au Sri Lanka, elle est touchée par une grenade lancée par l’armée Sri Lankaise, alors même qu’elle criait qu’elle était journaliste ; elle déclarait plus tard que son agresseur “savait très bien ce qu’il faisait”. Elle perd son œil gauche dans cette attaque, et portera par la suite un bandeau noir. Ces blessures graves ne l’ont pourtant pas empêchée d’écrire son article de 3000 mots qu’elle a rendu avant la deadline, dans lequel elle rend compte de la catastrophe humanitaire qui touche le pays, du blocus de nourriture et de fournitures médicales, et des crimes de guerre commis par le gouvernement dans les derniers jours de la guerre. Elle souffrira dès lors de stress post-traumatique, et sera même hospitalisée à la suite de graves crises de délire.
En 2011, alors qu'elle couvrait le Printemps arabe en Tunisie, en Égypte et en Libye, elle s'est vu proposer de réinterviewer Kadhafi, et d’emmener deux autres journalistes avec elle. Il était assassiné quelques temps plus tard, et Colvin couvrit l'événement.
En 2012, elle entre clandestinement en Syrie pour être correspondante de la révolution syrienne, malgré les menaces du gouvernement syrien contre les journalistes, et y fait sa dernière déclaration en direct sur 4 chaînes différentes, grâce à un téléphone satellite : elle décrit alors les attaques qu’elle qualifie “sans merci” contre les civils et les habitants de Homs, et déclare que le bombardement de la ville est “le pire conflit qu’elle ait jamais connu”. Le bâtiment transformé en centre de presse dans lequel elle se trouvait est bombardé par les forces syriennes quelques minutes plus tard : Marie Colvin, alors âgée de 56 ans, ainsi que le photojournaliste français Rémi Ochlik, 28 ans, trouvent la mort dans l’explosion.
Après des années de procès intentés contre le régime syrien et Bachar El-Assad par les proches des victimes, qui avait d’ailleurs déclaré que “Marie Colvin était responsable de sa propre mort”, la Syrie est condamné à plus de 300 millions de dollars aux proches de Colvin, reconnue coupable d’une attaque intolérable envers les médias.
Alors que reste-il de son travail acharné, d’un travail de toute une vie ? Des articles en pagaille, poignants, témoins des conflits de notre temps, 6 prix prestigieux dont trois “Journaliste étrangère de l’année”, et l’héritage d’une femme, obsédée par la guerre, et bien plus, obsédée par la vie. Une femme qui a donné beaucoup pour rendre compte de la violence que l’humain peut subir et faire subir, et pour toujours dire et écrire la vérité.
Et si vous voulez en apprendre plus sur elle, je vous propose de lire la biographie écrite par Lindsey Hilsum : In extremis. The Life and Death of war correspondent Marie Colvin.
Je vous laisse sur ses paroles : “Notre mission est de rapporter les horreurs de la guerre avec exactitude et sans préjugés. Nous devons toujours nous interroger si l'histoire en vaut le risque. Qu'est-ce que le courage et qu'est-ce ce que la bravade ?"
En tout cas, l’histoire de Marie Colvin nous prouve une fois de plus que les journalistes n’ont pas écrit leur dernier article, et les écrivaines, leur dernier mot.
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