"Notre vie difficile et troublée a plus que jamais besoin d'images sereines. Plus que jamais nous aimons un certain romanesque scientifique, figuré sur les pages des belles entomologies, avec tous les attraits d'une féérique vérité." Colette
Si l'on s'y attarde peu, Colette, biopic de l'écrivaine de génie, nous semble laisser une trace minime dans l'histoire du cinéma. Certains diront qu'ils n'en retirent que peu, sinon rien, de la vie de l'autrice, ou que la réalisation simple ne laisse pas le souvenir impérissable d'une œuvre de génie. Mais à y regarder de plus près, et en s'intéressant à l'essence même du projet, on peut se rendre compte d'une chose intéressante : Colette n'est pas un film de littérature, pas seulement un portrait de vie; c'est un film de passion.
Premier film solo du réalisateur américain Wash Westmoreland, qui avait l'habitude de tourner en coréalisation avec son mari, Richard Glatzer, Colette a tout
d'un bon départ. Ca, c'est ce que l'on sait.
Ce que l'on sait moins en revanche, c'est que le film, dans sa création, a une histoire bien singulière.
Tout commence à l'été 2001, alors que le couple Westmoreland/Glatzer décide, pour l'écriture du scénario, de séjourner en France. Le film s'appelle alors Colette & Willy. L'arrivée fut laborieuse : alors qu'ils escomptaient s'installer dans un appartement parisien prêté par un ami, ils ont eu la fâcheuse surprise de découvrir que ce dernier avait été loué. Une solution s'offre alors à eux : une maison de campagne, qui s'avérait être un manoir du XVème siècle, leur ouvre ses portes. En piteux état, la demeure ne leur donne accès ni à Internet, ni à la télévision. En une dizaine de jours, alors que totalement coupés du monde, les deux réalisateurs écrivent une première version du scénario. Pas moins d'une vingtaine de versions différentes du script suivront. Westmoreland se souvient :
"Tous les ans, on essayait de resserrer l’intrigue parce qu’on avait une matière pléthorique et que, le plus souvent, la vie ne se résume pas à une sympathique construction en trois actes. Réussir à raconter l’histoire de manière à ce qu’elle se prête à une forme cinématographique a été une tâche immense".
Durant leur séjour, un fait inouï se produit : alors qu'un ami à eux leur prêtait le manoir, il s'est avéré que la tante de ce dernier était très proche d'Anne de Jouvenel… qui n'était autre qu'une parente de Colette !
"Nous voilà ensuite à Paris en train de prendre une tasse de thé avec la baronne de Jouvenel. Nous avons sympathisé avec elle et elle a été emballée par notre projet : elle nous a autorisés officiellement à utiliser tous les textes de Colette qui figurent dans le scénario".
> Lire la biographie de Colette
Mais une question se pose soudain : pourquoi deux réalisateurs américains, oscarisés par la performance de Julianne Moore pour
Still Alice, décideraient-ils d'adapter la vie d'une des plus grandes écrivaines françaises ?
Une réponse : la passion. Richard Glatzer était passionné par l'autrice française, et avait lu tous ses romans en 1999. Le scénario a traîné , changé, été
réécrit, réévalué, jusqu'à ce que les deux artistes, fort du succès de Still Alice et après la 87ème
cérémonie des Oscars, décident de tenter l'aventure du long-métrage, et de se mettre à l'ouvrage.
Malheureusement, à cette période, Glatzer était hospitalisé : atteint depuis plusieurs années de la maladie de Charcot, il ne pouvait plus communiquer que via
une application de conversion de texte. Les échanges étant devenus difficiles, Colette a pris du retard. Richard Glatzer décède le 10 mars 2015 à Los Angeles, à l'âge de 63 ans.
"C’était un moment très difficile et très sombre de ma vie, et j’étais dans une grande détresse, mais le film m’a donné un objectif auquel me raccrocher. J’ai pris la décision de faire Colette pour perpétuer sa mémoire, et je voulais m’appuyer sur la complicité artistique que j’avais nouée avec lui pour faire un film très moderne".
Leur productrice, Elizabeth Karlsen, conseille alors l'ajout d'une coscénariste pour finaliser le script, ce que Westmoreland refuse. Mais à la lecture du nom de l'intéressée, Wash change d'avis. En effet, la nouvelle venue n'est autre que Rebecca Lenkiewicz, scénariste d'Ida, du réalisateur polonais Pawel Pawlikowski. Wash raconte :
"J’avais tellement aimé Ida que j’ai eu envie de la rencontrer. J’étais à Los Angeles et Rebecca était à Londres, si bien qu’on a d’abord échangé par Skype pendant plusieurs mois. Mais chacun a aussitôt été sensible aux idées de l’autre. Elle a insufflé une énergie nouvelle au projet, mais aussi ses intuitions, et son point de vue de femme dont on avait un vrai besoin".
Colette bouscule les conventions et propose un casting varié et progressiste. Ainsi, Westmoreland décide de réunir autour de Keira Knightley et Dominic West, ses deux acteurs principaux, deux acteurs et actrices trans pour jouer des personnages cisgenres : Jake Graf joue alors Gaston de Cavaillet, et Rebecca Root, déjà aperçue dans Les Frères Sisters, de Jacques Audiard, interprète la romancière Rachilde. Le réalisateur s'exprime aussi sur le choix de deux acteurs masculins :
"J’ai aussi engagé Ray Panthaki, Anglais d’origine asiatique, pour le personnage de Pierre Veber qui était blanc dans la réalité, et Johnny K Palmer, acteur noir, pour camper Paul Heon, une autre figure historique – et blanche. Encore une fois, ce n’est pas courant dans les œuvres en costumes, même si c’est très fréquent dans l’autre sens ! Je me suis dit qu’à l’époque de Colette, on s’affranchissait des règles et des conventions sociales, et qu’on s’ouvrait au monde. Du coup, le casting du film devait s’en faire l’écho…. Et ça me semblait cohérent".
Eleanor Tomlinson, Denise Gough, Fiona Shaw, Aiysha Hart & Shannon Tarbet complète ce casting de grande envergure. Casting composé essentiellement de femmes, d'actrices de talent.
Keira Knightley, elle, interprète une Sidonie-Gabrielle en passe de devenir Colette, l'une des plus grandes écrivaines que la France ait connue.
Son interprétation est simple, mais juste : son esclavagisme littéraire, la pression de son mari, l'exploitation de son talent seront autant d'arcs narratifs
qui mèneront à la naissance de l'autrice qu'elle fut, libre de son art, de ses mœurs, de ses rêves et du patriarcat de l'époque. Colette est une femme
émancipée qui s'aime, qui sait ce qu'elle veut, et qui agit. Ecrivaine, actrice, meneuse de revue, mime… Elle fut tout ce dont elle rêva. Et à l'écran, cela passe par un scénario très bien ficelé, centré sur les débuts de l'héroïne jusqu'à son émancipation, et par Keira.
Celle que voulait Wash Westmoreland dès le début. Et une anecdote étonnante jalonne ce choix. La première fois que Westmoreland rencontre Keira Knightley,
c'est par Face Time, à Shanghai, alors qu'il est invité au Film Festival. Il est minuit, il n'a plus de batterie. En quelques minutes, et juste avant que son
téléphone ne s'éteigne, il réussit à la convaincre de participer au projet : "Je me suis retrouvé à fixer un
écran noir dans ma main, stupéfait, en me répétant que je n’arrivais pas à croire ce qui venait de se
passer. Car c’est tellement rare qu’une star de son envergure accepte de s’engager si rapidement… C’est donc un petit miracle qui s’est produit".
Keira Knightley déclarera d'ailleurs, à propos de son rôle :
"Comme il n’y avait pas de place pour elle dans le monde, elle se l’est créée. Sans compromis. Elle a assumé sa personnalité sans jamais s’excuser, malgré l’époque conservatrice dans laquelle elle vivait. Je connaissais peu de chose d’elle avant de tourner le film de Wash Westmoreland. J’ignorais qu’elle avait été la plume cachée de son mari ou qu’elle avait vécu un si grand amour avec une femme. Je suis très admirative des combats qu’elle a menés pour s’émanciper et vivre sa sexualité. Les questions que pose cette histoire, qui se déroule pourtant il y a plus d’un siècle, sont encore actuelles."
Colette, c'est l'hommage d'une vie à une vie. Souhaitons que sa mémoire traverse les siècles, maintenant qu'on ne fait plus des limites des
frontières.
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